Vols de bombardement en Russie
Event ID: 124
01 juillet 1916
Source ID: 4
« Vols de bombardement en Russie. Le 1er juin, on nous a soudain demandé de charger. Nous ne savions pas où nous allions, mais nous avions le bon tuyau et nous ne fûmes donc pas trop étonnés d’apprendre par notre commandant que nous partions pour la Russie. Nous avons traversé toute l’Allemagne avec notre train-logement, composé d’un wagon-restaurant et d’un wagon-lit, et sommes finalement arrivés à Kowel. Là, nous sommes restés dans nos wagons. Vivre dans un train présente bien sûr de nombreux avantages. On est toujours prêt à repartir et on a toujours le même logement. Mais dans la chaleur de l’été russe, un wagon-lit est ce qu’il y a de plus effrayant. C’est pourquoi j’ai préféré partir avec deux bons amis, Gerstenberg et Scheele, dans la forêt voisine, où nous avons monté une tente et vécu comme des gitans. C’était une belle époque. * En Russie, notre escadron de combat lançait beaucoup de bombes. Nous nous occupions d’embêter les Russes et nous déposions nos œufs sur leurs plus belles voies ferrées. Un de ces jours, toute notre escadrille est allée bombarder une gare très importante. Le nid s’appelait Manjewicze et se trouvait à une trentaine de kilomètres en arrière du front, donc pas si loin que ça. Les Russes avaient prévu une attaque et, à cette fin, la gare était remplie de trains. Il y avait un train à côté de l’autre, toute une ligne était occupée par des trains en marche. On pouvait très bien voir cela d’en haut ; à chaque point d’évitement se trouvait un train de transport. C’était donc une cible vraiment intéressante pour un vol de bombardement. On peut s’enthousiasmer pour tout. C’est ainsi que je me suis passionné pour ce vol de bombardement pendant un certain temps. Cela m’amusait énormément de paver les frères en bas. Souvent, je partais deux fois le même jour. Ce jour-là, nous nous étions donc fixé Manjewicze comme objectif. Chaque escadron se dirigeait vers la Russie. Les avions étaient au départ, chaque pilote essayait encore une fois son moteur, car c’est une chose embarrassante d’atterrir en catastrophe sur le mauvais parti et surtout en Russie. Le Russe est fou des aviateurs. S’il en attrape un, il le tue à coup sûr. C’est d’ailleurs le seul danger en Russie, car il n’y a pas, ou presque pas, d’avions ennemis. S’il y en a un, il n’a pas de chance et il est abattu. Les canons antiballons en Russie sont parfois très bons, mais leur nombre n’est pas suffisant. Par rapport à l’Ouest en tout cas, voler à l’Est est une récréation. * Les avions roulent lourdement jusqu’au lieu de décollage. Ils sont remplis de bombes jusqu’à leur dernier poids de chargement. J’ai parfois transporté cent cinquante kilos de bombes avec un avion C tout à fait normal. En outre, j’avais encore un observateur lourd, qui ne montrait pas du tout la nécessité de travailler, ainsi que deux mitrailleuses « au cas où ». Je n’ai jamais pu les essayer en Russie. C’est vraiment dommage qu’il n’y ait pas de Russe dans ma collection. Sur le mur, sa cocarde serait certainement très pittoresque. Un tel vol avec une grosse machine lourdement chargée, surtout dans la chaleur russe de midi, n’est pas de tout repos. Les barges se balancent de manière très désagréable. Bien sûr, elles ne tombent pas, les cent cinquante « chevaux » y veillent, mais ce n’est pas une sensation agréable d’avoir autant de charge explosive et d’essence sur soi. On se retrouve enfin dans une couche d’air plus calme et on commence à goûter au plaisir du vol de bombardement. C’est agréable de voler en ligne droite, d’avoir un objectif précis et une mission fixe. Après un bombardement, on a le sentiment d’avoir accompli quelque chose, alors que parfois, lors d’un vol de chasse où l’on n’a abattu personne [84], on doit se dire : Tu aurais pu faire mieux. J’aimais beaucoup lancer des bombes. Mon observateur avait réussi à survoler la cible à la verticale et, à l’aide d’une lunette de visée, à trouver le bon moment pour pondre son œuf. C’est un beau vol vers Manjewicze. Je l’ai suivi à plusieurs reprises. Nous avons survolé d’immenses complexes forestiers, dans lesquels les élans et les lynx s’ébattent certainement. Mais les villages avaient aussi l’air d’être des endroits où les renards pouvaient se dire bonne nuit. Le seul village important de toute la région était Manjewicze. Autour du village, d’innombrables tentes étaient dressées et à la gare même, d’innombrables baraques. Nous ne pouvions pas reconnaître les croix rouges. Un escadron nous avait précédés. On pouvait encore le constater à certaines maisons et baraques fumantes. Elle n’avait pas mal lancé. L’une des sorties de la gare était apparemment bloquée par un tir. La locomotive fumait encore. Ces messieurs les chefs de train étaient certainement quelque part dans un abri ou quelque chose de ce genre. De l’autre côté, une locomotive sortait à toute vitesse. Bien sûr, ça nous a donné envie de la toucher. Nous avons donc attaqué la chose et posé une bombe à quelques centaines de mètres de là. Le succès escompté est au rendez-vous, la locomotive s’arrête. Nous faisons demi-tour et lançons encore proprement bombe après bombe, finement ciblées à travers la lunette de visée, sur la gare. Nous avons le temps, personne ne nous dérange. Un aéroport ennemi est certes tout proche, mais ses pilotes ne sont pas visibles. Les canons de défense ne claquent que très sporadiquement et dans une toute autre direction que celle dans laquelle nous volons. Nous gardons encore une bombe pour l’utiliser de manière particulièrement utile lors du vol de retour. C’est alors que nous voyons un avion ennemi décoller de son port. Aurait-il l’intention de nous attaquer ? Je ne le crois pas. Il cherche plutôt la sécurité dans les airs, car c’est certainement la manière la plus confortable d’échapper au danger de mort personnel lors des vols de bombardement sur les aéroports. Nous faisons encore quelques détours et cherchons des camps de troupes, car c’est particulièrement amusant d’inquiéter ces messieurs en bas avec des mitraillettes. Des tribus de peuples à moitié sauvages comme les Asiatiques ont encore plus peur que les Anglais instruits. Il est particulièrement intéressant de tirer sur la cavalerie ennemie. Cela provoque un trouble énorme parmi les gens. On les voit s’enfuir d’un seul coup dans toutes les directions. Je n’aimerais pas être chef d’escadron d’une escouade cosaque qui se fait mitrailler par des aviateurs [86]. Peu à peu, nous pouvions à nouveau voir nos lignes. Il était temps que nous nous débarrassions de notre dernière bombe. Nous avons décidé de bombarder un ballon captif, « le » ballon captif des Russes. Nous avons pu descendre tranquillement jusqu’à quelques centaines de mètres et bombarder le ballon captif. Au début, il a été tiré avec une grande hâte, mais une fois la bombe tombée, il a cessé d’être tiré. Je m’en suis expliqué, non pas parce que j’avais touché, mais plutôt parce que les Russes avaient abandonné leur hetman là-haut dans la nacelle et s’étaient enfuis. Nous avons finalement atteint notre front, nos tranchées, et lorsque nous sommes arrivés à la maison, nous avons été un peu étonnés de constater qu’on nous avait quand même tiré dessus d’en bas, du moins c’est ce qu’a montré un impact dans l’aile. * Une autre fois, nous nous trouvions également dans la même région, sur le point d’être attaqués par les Russes qui avaient l’intention de franchir le Stochod. Nous sommes arrivés à l’endroit menacé, chargés de bombes et de beaucoup de cartouches pour la mitrailleuse, et là, à notre grande surprise, nous avons vu que le Stochod était déjà traversé par la cavalerie ennemie. Un seul pont servait au ravitaillement. Il était donc clair que si on le touchait, on pouvait faire énormément de mal à l’ennemi. De plus, d’épaisses masses de troupes traversaient l’étroite passerelle. Nous sommes descendus à la hauteur la plus basse possible et avons pu voir avec précision que la cavalerie ennemie traversait le passage à grande vitesse. La première bombe claqua non loin d’elle, la deuxième, la troisième suivirent immédiatement. En bas, c’est le chaos. Le pont n’est pas touché, mais la circulation n’en a pas moins complètement cessé, et tout ce qui a des jambes s’en est allé dans toutes les directions. Le succès a été bon, car ce n’étaient que trois bombes ; toute l’escadrille a suivi. Et ainsi, nous avons encore pu accomplir beaucoup de choses. Mon observateur tirait fermement à la mitrailleuse parmi les frères, et nous nous en amusions follement. Je ne peux évidemment pas dire quel a été notre succès positif. Les Russes ne me l’ont pas dit non plus. Mais j’ai imaginé que j’avais réussi à repousser seul l’attaque russe. Si c’est vrai, la chronique de guerre des Russes me le dira probablement après la guerre ».
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