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Abattu par moi-même

Event ID: 166

06 mars 1917

Mitte März 1917
50.40278735589493, 2.947834758094367
Hénin-Beaumont
Hénin-Liétard

Source ID: 4

Der rote Kampfflieger von Rittmeister Manfred Freiherrn von Richthofen, 1917, 351.000 - 400.000, Verlag Ullstein & Co, Berlin-Wien

« Abattu par lui-même (mi-mars 1917) Abattu est en fait un terme impropre pour ce qui m’est arrivé aujourd’hui. En général, je n’appelle « abattu » que celui qui s’écrase, mais aujourd’hui je me suis rattrapé et je suis descendu sain et sauf. Je suis dans l’escadron et je vois un adversaire qui vole également dans l’escadron. Il est à peu près au-dessus de notre position d’artillerie dans la région de Lens. Il me reste encore une bonne partie du chemin à parcourir avant d’atteindre la zone. C’est le moment le plus excitant, l’approche de l’ennemi, quand on voit déjà l’ennemi et qu’on a encore quelques minutes avant le combat. Je crois que mon visage devient alors toujours un peu pâle, mais je n’ai malheureusement jamais emporté de miroir. Je trouve ce moment agréable, car il est très excitant, et c’est ce que j’aime. On observe l’adversaire de loin, on a identifié l’escadrille comme ennemie, on compte les appareils ennemis, on pèse les moments défavorables et les moments favorables. Par exemple, le fait que le vent me repousse de mon front ou me pousse vers mon front joue un rôle énorme. C’est ainsi que j’ai abattu une fois un [113] Anglais à qui j’avais tiré le coup de grâce au-delà des lignes ennemies, et il est tombé près de nos ballons captifs, tellement la tempête l’avait poussé loin. Nous étions cinq, l’ennemi était trois fois plus fort. Les Anglais volaient en désordre comme un grand essaim de moustiques. Faire éclater un tel essaim, qui vole si bien ensemble, n’est pas facile, exclu pour un seul, extrêmement difficile pour plusieurs, surtout lorsque les différences de nombre sont aussi défavorables que dans notre cas. Mais on se sent tellement supérieur à l’adversaire que l’on ne doute pas un seul instant de la réussite certaine. L’esprit d’attaque, donc l’offensive, est la chose principale, comme partout, dans les airs aussi. Mais l’adversaire pensait de même. Je devais m’en rendre compte tout de suite. Dès qu’il nous a vus, il a immédiatement fait demi-tour et nous a attaqués. Pour nous, les cinq hommes, il fallait faire attention ! Si l’un d’entre eux traîne, il risque d’avoir des ennuis. Nous nous sommes également regroupés et avons laissé les hommes s’approcher un peu. Je veillai à ce que l’un des frères ne s’éloigne pas un peu des autres. Là, il y en a un qui est tellement bête. Je peux l’atteindre. « Tu es un enfant perdu ». Sur lui en hurlant. Maintenant je l’ai atteint ou je dois l’atteindre tout de suite. Il commence déjà à tirer, il est donc un peu nerveux. Je me suis dit : « Tu [114]tires, tu ne touches pas, après tout ! » Il a tiré avec une munition traçante qui est passée devant moi, visible. J’avais l’impression d’être dans le cône d’un arrosoir. Ce n’est pas agréable, mais les Anglais tirent presque tous avec cette substance commune, il faut donc s’y habituer. L’homme est un animal d’habitude, car à ce moment-là, je crois que je riais. Mais j’allais bientôt me rendre compte que j’avais tort. Je suis maintenant presque tout près, à une centaine de mètres, le fusil est armé, je vise encore une fois, je fais quelques tirs d’essai, les fusils sont en ordre. Cela ne peut plus durer longtemps. Dans mon esprit, je vois déjà mon adversaire s’écrouler. L’excitation de tout à l’heure est passée. On réfléchit calmement et objectivement, on évalue les probabilités de réussite de lui et de moi. D’ailleurs, le combat lui-même est le moins excitant dans la plupart des cas, et celui qui s’énerve fait une erreur. Il n’en abattra jamais un. C’est aussi une question d’habitude. En tout cas, dans ce cas, je n’ai pas fait d’erreur. Maintenant que je suis à cinquante mètres, quelques bons tirs et le succès ne pourra pas me faire défaut. C’est ce que je pensais. Mais tout à coup, il y a une grosse détonation, j’ai à peine tiré dix coups, et tout de suite après, ça claque à nouveau dans ma machine. C’est clair, je suis touché. Du moins ma machine, pas moi pour [115]ma personne. Au même moment, il y a une odeur d’essence monstrueuse et le moteur s’essouffle. L’Anglais s’en aperçoit, car il tire d’autant plus fort. Je dois lâcher immédiatement. Il descend à la verticale. J’ai involontairement coupé le moteur. Il était grand temps. Quand le réservoir d’essence est percé et que le produit gicle autour des jambes, le risque de brûlure est grand. On a devant soi un moteur explosif de plus de cent cinquante « chevaux », donc incandescent. Une goutte d’essence et toute la machine s’enflamme. Je laisse une traînée blanche dans l’air. Je la connais parfaitement chez l’adversaire. Ce sont les signes avant-coureurs de l’explosion. Je suis encore à trois mille mètres d’altitude, j’ai donc encore tout un bout de chemin à faire jusqu’à la terre. Dieu merci, le moteur s’arrête de tourner. Je ne peux pas calculer la vitesse que l’avion atteint. Elle est en tout cas si grande que je ne peux pas sortir la tête sans être poussé en arrière par le courant d’air. Je suis bientôt débarrassé de mon adversaire et j’ai encore le temps, avant de redescendre sur terre, de voir ce que font mes quatre autres maîtres. Ils sont toujours en train de se battre. On entend les tirs de mitraillette de l’adversaire et les leurs. Tout à coup, une fusée. Est-ce la fusée d’un adversaire ? Mais non. C’est trop gros pour ça. [116]C’est de plus en plus gros. Il y en a un qui brûle. Mais lequel ? La machine ressemble exactement à la nôtre. Dieu merci, c’est un adversaire. Qui a pu l’abattre ? Tout de suite après, un deuxième avion sort de l’escadrille, semblable à moi, tombe à la verticale, se retourne même, se retourne encore – là – maintenant il s’est rattrapé. Il vole tout droit vers moi. Un albatros aussi. Il s’est certainement retrouvé dans la même situation que moi. Je suis encore à quelques centaines de mètres de hauteur et je dois regarder doucement autour de moi pour savoir où je veux atterrir. Car un tel atterrissage est souvent lié à une rupture. Et une telle rupture ne se passe pas toujours bien, donc – attention. Je trouve une prairie, pas très grande, mais juste suffisante si l’on fait un peu attention. En plus, elle est bien située, juste à côté de la route d’Hénin-Liétard. C’est là que je veux atterrir. Tout se passe bien. Ma première pensée est : où est l’autre ? Il se pose à quelques kilomètres de moi. J’ai maintenant le temps de regarder les dégâts. Il y a quelques impacts, mais celui qui m’a fait arrêter le combat est celui qui a traversé les deux réservoirs d’essence. Je n’ai plus une goutte d’essence dedans, le moteur est également touché. Dommage pour lui, il tournait encore si bien. Je laisse mes jambes se balancer hors de la machine et j’ai peut-être fait une tête de [117] fou. Aussitôt, une foule de soldats s’est rassemblée autour de moi. Un officier arrive. Il est tout essoufflé. Très excité ! Il lui est certainement arrivé quelque chose de terrible. Il se précipite vers moi, reprend son souffle et me demande : « J’espère qu’il ne vous est rien arrivé ? J’ai observé toute la scène et je suis tellement excité ! Bon sang, ça avait l’air horrible ! » Je lui ai assuré que je n’avais rien, j’ai sauté à terre et me suis présenté. Bien entendu, il ne comprit pas un mot de mon nom. Mais il m’invita à prendre sa voiture pour aller à Hénin-Liétard, où il logeait.  C’était un officier du génie. Nous sommes déjà dans la voiture et nous démarrons. Mon hôte ne s’est toujours pas calmé. Soudain, il sursaute et demande : « Bon sang, où est donc votre chauffeur ? ». Au début, je ne savais pas vraiment ce qu’il voulait dire, je le regardais sans doute avec un peu de confusion. Puis j’ai compris qu’il me prenait pour l’observateur d’un avion biplace et qu’il me demandait mon pilote. Je me suis vite ressaisi et j’ai répondu sèchement : « Je voyage seul ». Le mot « conduire » est mal vu dans l’aviation. On ne conduit pas, on « vole ». Aux yeux de ce brave monsieur, j’avais décidément visiblement baissé par le fait que je « conduis » seul. La conversation devint un peu plus cassante. [118]Nous voilà arrivés dans ses quartiers. Je porte toujours mon blouson de cuir gras sale, une grosse écharpe autour de moi. En chemin, il m’a bien sûr assailli d’une infinité de questions. D’ailleurs, tout ce monsieur était nettement plus excité que moi. Il m’obligea à m’allonger sur un canapé, ou voulut le faire en me disant que je devais être encore très énervée par mon combat. Je lui assurai que je m’étais déjà battu en l’air, ce qui ne lui vint pas à l’esprit. Je n’avais certainement pas l’air très belliqueux. Après avoir discuté un peu, il en vient naturellement à la fameuse question : « Avez-vous déjà abattu quelqu’un ? » Comme je l’ai dit, il n’avait pas entendu mon nom. « Ah oui, » ai-je répondu, “de temps en temps”. « Alors – alors vous en avez déjà abattu deux ? » « Non, mais vingt-quatre ». Il sourit, répète sa question et dit que par « abattu », il entendait quelqu’un qui était tombé et était resté en bas. Je lui ai assuré que c’était aussi ma conception de la chose. Là, j’étais au fond du trou, car il me prenait pour un grand fanfaron. Il m’a fait asseoir et m’a dit qu’on mangeait dans une heure et que, si j’étais d’accord, je pouvais me joindre au repas. J’ai donc profité de son offre et je me suis endormi pendant une heure. Puis nous sommes allés au [119] casino. Là, je me suis déshabillé et j’avais heureusement mon Pour le mérite. Mais malheureusement, pas de veste d’uniforme en dessous, juste un gilet. Je m’excuse de ne pas être mieux habillé et, tout à coup, mon bon chef découvre sur moi le Pour le mérite. Il reste sans voix d’étonnement et m’assure qu’il ne sait pas comment je m’appelle. Je lui dis à nouveau mon nom. Il sembla alors se rendre compte qu’il avait déjà entendu parler de moi. On me donna des huîtres et du champagne à boire et je vécus plutôt bien jusqu’à ce que Schäfer vienne me chercher avec ma voiture. Il m’a appris que Lübbert avait une fois de plus fait honneur à son surnom. En effet, on l’appelait « Kugelfang », car à chaque combat aérien, sa machine était sérieusement malmenée. Une fois, elle avait été touchée à soixante-quatre reprises, sans qu’il soit lui-même blessé. Cette fois, il avait reçu une éraflure à la poitrine et était déjà à l’hôpital. J’ai piloté son avion jusqu’au port. Malheureusement, cet excellent officier, qui avait tout pour devenir un Boelcke, est mort quelques semaines plus tard en héros pour la patrie. Le soir, je peux encore informer mon hôte d’Hénin-Liétard que j’ai fait un quart de cent aujourd’hui ».

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